Avec les attentats du 13 novembre, la France entre dans une "drôle de guerre". Après des années de gestation, la guerre est déclarée, mais l'ennemi reste insaisissable. Derrière les jeux de miroir, nos propres excès et abus apparaissent. L'Humanisme est notre seule option. D'ici à 2017, saisissons notre dernière chance avant le déchaînement des forces. 

 

bougies copieLe bilan numérique est lourd. Le bilan psychologique impossible à évaluer... Mais déjà, les ballets nocturnes des ambulances, des forces de l'ordre, de l'armée et des passants hébétés rappellent des images d'un autre temps, ou d'une autre aire géographique. Des corps inertes étendus sur le sol. Des enfants dans des caves. Paris s'éveille sur un paysage de guerre. L'armée est déployée, les frontières fermées. Le Président s'avance, l'air sombre et la parole lourde. La guerre est déclarée.

Au 14 novembre, la France se réveille en guerre, donc. Mais en guerre contre quoi, contre qui? Contre le terrorisme, certes... Mais le terrorisme c'est quoi, c'est qui? D'où vient-il? Comment le combat-on et surtout, comment le vaincre?

Plusieurs constats s'imposent. D'abord, la profondeur de l'événement. Ce n'est pas un épisode isolé. Les attentats terroristes sont la manifestation de souffrances, d'humiliations et de haines profondément enracinées et nourries par l'histoire. La colonisation était une première phase de la globalisation, brutale, barbare, asymétrique. Sans toujours le vouloir, les peuples ont commencé à se mélanger, à cohabiter, à s'intégrer parfois. L'horreur des deux guerres mondiales fait émerger la Société des Nations, puis l'Organisation des Nations-Unies, la coopération européenne, comme autant de tentatives de gouverner et de pacifier la dynamique de globalisation. Derrières les idéologies dominant la guerre froide, les échanges internationaux se multiplient puis s'intensifient après la chute de l'Union Soviétique. Depuis, le capitalisme tout puissant révèle l'ampleur de ses contradictions et des déséquilibres qu'il nourrit. Les plaies humaines, identitaires, sociales, écologiques deviennent des fractures béantes. Les plus riches s'enrichissent, les démocraties tombent sous la coupe d'oligarchies financières qui s'accaparent tous les leviers économiques, politiques et médiatiques du pouvoir. Certes, on arrache tant bien que mal les plus pauvres à la misère la plus abjecte, mais le modèle s'essouffle. On ferme les yeux sur la misère et l'exclusion qui réapparaissent dans les pays occidentaux. On associe les questions d'insécurités à des problèmes d'identité ou de religion en feG Mathieurmant les yeux sur leur dimension sociale et sociétale. Il n'y aura pas de place pour tout le monde. Alors on joue des coudes plutôt que de se les serrer. La propagande bat son plein. Hors du système, point de salut. Il faut accepter, se résigner, de peur de perdre sa place dans un trafic de plus en plus insoutenable.

Notre système est en faillite. Les crises menacent de toute part, le surendettement, le réchauffement climatique, le chômage endémique, l'exclusion et le repli identitaire. Le terrorisme en est une facette abjecte, mais n'en est qu'une facette, qui se nourrit des autres. Nos voitures réchauffent le climat, qui dérègle les saisons, jette les sociétés rurales vulnérables dans la famine et sur les routes des migrations, qui nourrissent les bidonvilles ici, et la xénophobie là. Les peuples se crispent. La peur gagne. On se méfie, on s'accroche à ses privilèges, on s'enferme. Dehors, le ressentiment gagne, l'indignation devient haine, les fondamentalismes se frottent les mains. Les idéologies s'entrechoquent. Le fanatisme religieux répond au fanatisme libéral qui dresse l'anarchie des marchés dérégulés en dieu tout puissant, et le consumérisme forcené poussé par des pulsions exacerbées en unique planche de salut. Semant ses armées de laissés-pour-compte sur les bords des routes.

Certains diront que l'ennemi est clairement identifié. Contre les migrations, on pointe du doigt les passeurs. Contre le terrorisme, on pointera du doigt... les migrants, les frontières ouvertes, le manque de contrôle, de surveillance, la trop grande tolérance envers les autres, les différents, les divergents. Mais c'est oublier de regarder la vérité en face: les attentats de Paris ne sont qu'une bataille d'une guerre mondiale déjà déclarée qui engage chacun d'entre nous. Une guerre des fanatismes, et en premier lieu de notre propre fanatisme matérialiste, consumériste et capitaliste qui oppresse, qui humilie, qui exploite partout à travers le monde. Les Gandhi, les Mandela, les Papes François sont rares ou oubliés. La voix du dialogue, de l'écoute, de la solidarité est toujours étouffée par les intérêts particuliers de nations, de réseaux, d'individus incapables de se résoudre à partager, et à mesurer les implications d'un nécessaire vivre-ensemble. Les attentats de Paris sont le fruit, un fruit mortel parmi tant d'autres, de décennies de misère froidement médiatisée sur nos écrans de télévision. On prend ses distances, on s'indiffère. "C'est loin". "Ils sont différents". "C'est aussi un peu leur faute quand même"... Alors les colombes s'éloignent, et les loups battent la campagne.

Le 14 novembre, au pearméetit jour, les Parisiens, les Français, le monde se réveille en guerre. En guerre contre lui-même, contre ses propres fanatismes qui se nourrissent et se répondent les uns les autres. Les alarmes retentissent sur tous les fronts et la guerre est déclarée. Mais une drôle de guerre, dont les contours de l'ennemi demeurent flou, fuyants, incertains. Place à la désignation facile de quelques boucs-émissaires aussi pratiques et superficiels que les Talibans afghans et l'Irak de Saddam pour les Américains en 2001. Mais derrière les écrans de fumée se tapit le véritable monstre, nous-mêmes, notre propre système déréglé et excluant, notre propre impérialisme idéologique qui étouffe et oppresse partout dans le monde, et fait germer les graines de la haine sur le désert de notre inhumanité.

La guerre contre ce terrorisme abjecte ne se gagnera pas en Syrie, ni en Chine, ni dans les forages pétroliers de l'Arctique. Elle se gagnera à Paris mêmélections 2017e, et dans les campagnes françaises, dans nos esprits, par notre capacité à écouter, à respecter, à partager, à renouer avec les équilibres fondamentaux, à prendre soin, à aimer.

Le Front National se frotte les mains. L'histoire n'a-t-elle pas une fâcheuse tendance à se répéter? Il entend canaliser la souffrance et la peur des Parisiens et des Français pour instaurer le Vichy du XXIème siècle. Les élections présidentielles de 2017 marqueront une étape décisive, car d'ici là la société française va être le théâtre de multiples convulsions. Pendant la drôle de guerre, les forces s'aiguisent en coulisse. On est en guerre sans trop s'en apercevoir. On continue à pousser ses intérêts, dans l'ombre, sans trop se soucier du fait que notre modèle de société lui-même est sur la sellette. De quoi accouchera la France en 2017, lorsqu'il s'agira d'institutionnaliser ces convulsions, de les matérialiser en stratégies et politiques propres à déterminer le futur même de notre société? Le deuxième tour se jouera probablement autour de deux voies. On nous promet déjà un combat décisif entre la voie de l'autruche, celle de la tête enterrée dans le sable du capitalisme dominant, de gauche ou de droite, celle des marionnettes en alternance qui ont, depuis longtemps, sacrifié le pouvoir démocratique à la toute-puissance financière; et la voie de la tour d'ivoire, la pensée brune, celle de la xénophobie nauséabonde et du repli-sur-soi, qui voit l'enfer chez les autres après s'être repus d'esclavagisme jusqu'à l'obésité.

Il y a une troisième voie. Celle de l'humanisme éclairé. Celle qui reconnaît nos erreurs passées, notre vulnérabilité actuelle, notre responsabilité dans les maux de notre monde. Celle qui se bât pour sa liberté, y compris avec les armes les plus puissantes du monde: l'humilité, la reconnaissance, la solidarité, la main tendue, l'amour. La voie d'une société française et mondiale irrémédiablement connectée, interdépendante, dont on a exacerbé et usé des pulsions destructrices jusqu'à la moelle, mais qui peut se transformer en une véritable communauté de destin, de progrès, de fraternité, de partage. Cette voie, nous sommes nombreux à y croire, à l'expérimenter, à la construire jour après jour aux six coins de l'hexagone et au delà. Elle reste encore malheureusement trop inaudible, et si loin de la fin de partie, sur l'échiquier de 2017. La drôle de guerre qui s'annonce sera aussi l'occasion, pour elle, pour nous, de s'affirmer, de s'imposer. Il faut redoubler d'humanisme.