Petite réponse (publique) à un visiteur qui m'écrit (en privé) pour me demander si je connais Etienne Chouard... Certainement en référence à mon intérêt pour l'introduction du tirage au sort en politique. Alors comme je suis un cancre, mais un cancre volontaire, je suis allé faire mes devoirs... J'ai pu parcourir tout d'abord son site, puis un certain nombre de critiques ici ou là. Au final, j'ai un regard assez mitigé.
D'abord je saluerai le bonhomme, le courage d'exprimer tout haut ce qu'il pense (pas facile pour tout le monde !), de remettre en question certains fondamentaux du système, et la quantité de travail derrière ses textes, ses analyses des institutions etc. Je partage certaines analyses et propositions, notamment la nécessité de transformer en profondeur la situation actuelle y compris les institutions (on parle bien de révolution), et de l'intérêt pour introduire de l'aléatoire dans la sélection des décideurs politiques. Mettre le doigt sur un manque de moyens de contrôle des décideurs politiques par le peuple, et sur l'argent comme déterminant majeur de l'accès au pouvoir dans un système oligarchique me paraît parfaitement juste.
En revanche, je prendrai mes distances avec certaines choses, y compris certaines choses assez fondamentales... notamment :
- Je crois que le rapport entre les institutions et les sociétés est "co-construit", c'est à dire qu'ils s'influencent et évoluent de manière mutuelle. Etienne Chouard suggère que tout part de la Constitution. Je n'y crois pas. Elle modèle la société, certes, mais la reflète aussi simultanément. Exemple : la Charte de l'Environnement a depuis 2004 valeur constitutionnelle en France, et pourtant je ne vois l'application des principes de précaution, de prévention et de pollueur-payeur que très timidement infuser les textes légaux, les jurisprudences et, encore plus timidement, les pratiques et comportements des décideurs. En synthèse, il y a la Constitution, et il y a ce que les hommes en font. Pour ma part je pense donc que la case "refonte de la Constitution" vient bien plus en aval du processus révolutionnaire que ce que suggère Etienne Chouard.
- Il en découle - ou inversement - chez Etienne Chouard un sentiment de rapport de force constant entre les hommes de pouvoir et la société, les institutions et les lois que ceux-ci devraient "craindre". Là encore, cette approche assez "lutte des classes" me semble dépassée. Non pas que des réajustements ne soient nécessaires... mais il ne s'agit pas de remplacer la dictature de l'argent par une autre forme de dictature. Dans la vision que je propose, la finalité d'une société équilibrée et harmonieuse repose sur deux piliers, la liberté et la responsabilité. La responsabilité n'est pas la peur. L'humanisme passe par la liberté, une liberté consciente des autres, du monde, des inter-dépendances, pas par la peur. L'objectif n'est pas d'avoir des leaders politiques terrifiés par les institutions et ceux qui les contrôlent - si tant est que le peuple puisse réellement "diriger" collectivement sans la constitution d'intermédiaires qui n'auront de cesse de s'accaparer eux-même le pouvoir... Mais au contraire il s'agit pour les décideurs de porter consciemment et viscéralement les orientations collectives, et de les décliner dans leurs décisions et les diffuser dans la vie réelle des citoyens.
- On en arrive à la question fondamentale de la finalité. Pourquoi une révolution ? Pourquoi changer la constitution ? Je comprends ce qu'Etienne Chouard rejette dans le système actuel - et pour l'essentiel, difficile de lui donner tort. Mais que veut-il construire ? Quelle est sa vision ? Mener une révolution sans être clair sur ce qu'on veut construire derrière, c'est comme attaquer l'Irak ou la Syrie sans savoir comment gérer les multiples défis des après-Hussein et Kadhafi - juste pour donner une idée de l'ampleur du désastre potentiel. On ne fait pas une révolution contre - les riches, les corrompus... - mais pour, pour une vision positive et améliorée de l'avenir. Faire la guerre, ce n'est pas facile... Mais construire la paix est encore bien plus difficile. Et là, j'ai l'impression qu'Etienne Chouard est prêt à enrôler tout homme prêt à prendre les armes, révolutionnaires de tout poil, xénophobes, haineux et revanchards y compris. C'est comme si on mettait Gandhi et Hitler dans le même panier sous prétexte que les deux veulent rebattre les cartes ! Non, la finalité est fondamentale, et les valeurs, les principes et la manière sont tout aussi essentiels.
Il y aurait beaucoup à dire "techniquement" tellement le promoteur du "Plan C" est prolifique... mais je pense que ces éléments ci-dessus cadrent mes valeurs et mes différences.